Les contre-vérités du mouvement pour un revenu de base

Article de Francine Mestrum initialement publié en anglais sur Global Social Justice.


J’ai récemment reçu la dernière infolettre du BIEN (Basic Income Earth Network, le réseau mondial pour le revenu de base). Ce fut comme d’habitude une lecture intéressante, mais il faut toujours garder en tête l’idée suivante : le BIEN ne parle pas forcément de revenu de base… il met en exergue le « revenu de base » (versé à tou·te·s, riches comme pauvres) mais la quasi-totalité des articles concernent le revenu minimum garanti (versé à celles et ceux qui en ont besoin).

Il y a une raison évidente à cela : le revenu de base n’a jamais été mis en place nulle part. Bien sûr, on cite toujours les exemples des villages de Namibie, les « projets pilotes » en Inde, mais ces expérimentations concernent des populations pauvres, à qui l’on a distribué des sommes à peine suffisantes pour survivre.

Autre exemple : l’expérimentation à Dauphin au Canada. La vidéo la plus répandue sur le sujet montre clairement que les revenus étaient contrôlés et que seules les personnes les plus pauvres ont reçu de l’argent.

Les expérimentations actuelles aux Pays-Bas ou en Finlande sont à destination des personnes à faible revenu et, d’une façon ou d’une autre, menacent les dispositifs de protection sociale.

L’Alaska ? Certes, le « dividende » de l’industrie pétrolière versé à tou·te·s  peut être vu comme une forme de revenu de base. Point positif : il est sans effet sur la protection sociale ou le marché de l’emploi. C’est le produit de plus-values réalisées dans l’État : une part de ces profits est distribuée à la population. Pourquoi pas ? Bien sûr, certaines questions doivent être posées : une telle expérience est-elle limitée aux pays ou régions doté·e·s de ressources naturelles ? Ne doit-on pas généraliser ce mécanisme à l’ensemble des régions naturellement riches et créer un fond mondial, destiné à répondre aux besoins à l’échelle de la planète ? Des questions complexes, mais en réalité les seules qui importent quand on parle de revenu de base.

Un débat d’idées très intéressant a lieu en France, car le candidat du Parti Socialiste à l’élection de mai est un défenseur du « revenu de base ». Il faut remercier les Français·e·s pour leurs contributions au débat, qu’elles soient en faveur ou contre le revenu de base. Mais ici encore, il y a une confusion des termes. Tou·te·s parlent de revenu de base, mais certain·e·s veulent en fait dire revenu minimum. Même Benoît Hamon a dû admettre que sa proposition n’était pas financièrement équilibrée, il l’a donc adaptée et c’est désormais un soi-disant « revenu de base » de 750 euros mensuels, à destination des jeunes seulement.

Nous sommes donc en face d’un sérieux problème, et le BIEN également. Le réseau mondial pour le revenu de base ne peut continuer à utiliser des contre-vérités dans sa communication. Pour poursuivre la discussion autour des bienfaits et des inconvénients du revenu de base et de la protection sociale, nous devons clarifier ce que cela veut réellement dire. Ne disons pas « revenu de base » si l’on veut en réalité parler d’un revenu minimum garanti.

L’urgence est d’expliquer à la population ce qui est réalisable et ce qui ne l’est pas. Nous devons clarifier les choix et ce qu’ils impliquent. Mais ce n’est pas possible si les termes sont, à dessein ou non, confus.

C’est d’autant plus nécessaire que les militant·e·s du revenu de base se déclarant ni de droite ni de gauche sont nombreux·ses. Mais un revenu de base visant à émanciper les gens est très différent d’un revenu de base destiné à détricoter la protection sociale.

Charmer les esprits avec « de l’argent gratuit pour tout le monde », si l’on parle en réalité d’un revenu minimum seulement pour les personnes qui en ont besoin, est presque malhonnête.

Évidemment, parler d’« argent gratuit » peut séduire largement. Mais si le but réel d’une telle proposition est en réalité la privatisation de services de santé par exemple, alors il y a bien un réel problème.

Je formule donc deux demandes importantes et urgentes.

D’abord, envers le réseau du BIEN et les divers courants en faveur d’un revenu de base : soyez précis dans le choix des termes. Vous connaissez parfaitement la différence, prenez donc garde à ne pas faire la promotion d’un « revenu de base » en prenant comme exemple un revenu minimum. Cette confusion ne permet pas la tenue d’un débat constructif.

Ensuite, pour celles et ceux qui s’intéressent au devenir des politiques sociales : mettons-nous autour d’une table afin de déterminer quelles doivent être nos actions pour parvenir à la meilleure solution possible. Les ponts à construire entre le revenu de base et la protection sociale sont nombreux, nous devons les définir et les construire. N’est-ce pas le défi le plus important et le plus stimulant qui se présente à nous ?

En ces temps de populisme droitier, nous avons beaucoup à défendre, urgemment. Parmi nos conquêtes historiques, la démocratie et la solidarité sont les plus menacées. Nos services sociaux et nos mécanismes de solidarité ont besoin d’être « modernisés », ne laissons pas ceux qui ne croient pas en la société les détruire.


Dernier ouvrage en date de Francine Mestrum : The Social Commons. Rethinking social justice in post-neoliberal societies, www.socialcommons.eu.

Illustration : CC-BY 2.0 Patient Care Technician.


Commentaires

Une réponse à “Les contre-vérités du mouvement pour un revenu de base”

  1. […] Haagh, co-directrice du BIEN, et des critiques diverses formulées par Kemal Dervis, Anke Hassel, Francine Mestrum, ou encore Henning Meyer, rédacteur en chef de Social […]