Presque tous les militants du revenu de base que je connais le présentent comme un instrument de justice sociale. Je suis évidemment d’accord mais, à mon avis, la réduction des inégalités n’est que la seconde des trois principales raisons pour lesquelles défendre un revenu de base, appelé revenu citoyen ici en Grande-Bretagne.
Lorsque j’ai rejoint le Parti Vert du Royaume-Uni, à l’époque où il s’appelait PEOPLE et n’était qu’embryonnaire, en 1973, j’ai assisté à une conférence qui faisait de la croissance économique désordonnée une menace pour l’environnement, comme décrit dans le rapport Les limites de la Croissance publié par le Massachusetts Institute of Technology en 1972. J’étais d’accord en tout point, mais j’ai posé la question suivante :
« Quelle est votre politique sociale ? Vous appelez à une récession profonde. Je suis convaincu qu’elle sera nécessaire, mais jusqu’à présent toutes les récessions ont conduit à une paupérisation de masse. Que ferez-vous quand les pillards apparaîtront ? »
On m’a répondu : « S’il le faut, nous les abattrons en pleine rue. Le délitement de la société ne résout pas la misère. »
Que les lecteurs soient à ce stade aussi outrés que je le fus à l’époque ne change rien à l’affaire, car l’argument initial est vrai. L’intervenant m’a ensuite interpellé :
« Avez-vous une meilleure politique sociale à proposer ? »
Je n’en avais pas. J’ai passé le trajet du retour à chercher une réponse à ma propre question. Vous devinez quelle réponse j’ai trouvé… J’ai appris plus tard que le revenu de base avait déjà été inventé plusieurs fois, avec diverses justifications, depuis Thomas Paine en 1798. Mais même aujourd’hui, 43 ans plus tard, limiter l’activité économique à ce que peut supporter la planète n’était pas au programme de la conférence réussie de Paris sur le climat en décembre 2015. Sans ça, tout est foutu. Un revenu de base permettra l’acceptation par la population d’une économie nationale stable, qui deviendra alors un projet politique viable, mais ce revenu devra être mondialisé.
On le jugera impossible à financer. Ce serait vrai si l’économie s’était effondrée à tel point qu’on ne puisse plus fournir les biens et services essentiels à tous. Mais un revenu de base lié aux réalités écologiques débouchera sur une redistribution radicale des richesses. Ce qui nous amène à la justification plus commune du revenu de base pour réduire les inégalités. Mais si un revenu de base permet seulement aux pauvres de dépenser de l’argent pris aux riches, l’accord de Paris ne sera pas atteint.
Par ailleurs, je suis toujours interloqué par la méconnaissance du caractère néfaste des aides liées au revenu, que l’on retire aussitôt que la personne perçoit d’autres revenus.
Les paragraphes suivants concernent le Royaume-Uni mais sont vrais partout où les aides sont conditionnées au revenu. Pour quelqu’un qui se voit retirer une telle aide, l’effet est similaire à une taxe massive sur la différence de revenu. La description la plus claire du phénomène vient curieusement d’un rapport publié en 2009 par le Centre pour la Justice Sociale, Allocations Variables : vers une protection sociale efficace. Cet organisme a été fondé par Ian Duncan Smith, ancien ministre du travail et des retraites dans le gouvernement britannique de coalition, conservateur depuis 2010. Smith a récemment démissionné pour montrer son désaccord avec les réductions annoncées des pensions d’invalidité. Allocations Variables a servi de base aux réformes de la protection sociale que mène le gouvernement. La recommandation phare du rapport est le Crédit Universel, permettant à un chômeur retrouvant un emploi de conserver 45 % de son allocation chômage. L’ancien ministre du travail et des retraites a réduit ce taux à 35 % lors de sa prise de poste. Ce qui induit que les anciens chômeurs subissent un e taxation effective de 65 %. Tandis que les banquiers les plus taxés voient leur revenu ponctionné de 45 %.
On trouve dans Allocations Variables plusieurs schémas montrant la perte progressive des allocations en la présentant comme un taux d’imposition. En fait la première partie du rapport, en exposant ce problème, est un excellent argument en faveur du revenu de base. Le Crédit Universel est un ersatz de revenu de base, qui cherche à réduire les trappes d’inactivité, mais il pénalise toujours grandement les indemnisés par rapport aux personnes à haut revenus.
Bien qu’Ian Duncan Smith ait déclaré avoir démissionné à cause de la réduction des pensions d’invalidité, je pense que le véritable motif est la fin prochaine du Crédit Universel. Quatre ans après son annonce, le dispositif ne concerne que 5 % des 4,5 millions de bénéficiaires potentiels. Le ministère du travail et des retraites annonce un déploiement complet du Crédit Universel d’ici 2021. Peu probable au vu des retards successifs dans la mise en œuvre jusqu’ici. Je suis révolté de voir l’initiateur des suspensions d’allocations, de la taxe de vie commune, de l’examen d’aptitude professionnelle se présenter comme les défenseur des faibles et des vulnérables. Il n’empêche qu’Allocations Variables constitue une ressource dans le débat autour du revenu de base.
Mais la troisième raison pour laquelle je défends un tel revenu est plus fondamentale. Un revenu de base peut amorcer un basculement vers une culture nouvelle. Au lieu de possédants contre dépossédés, de patrons contre employés, la nouvelle ligne de démarcation se fera entre ceux qui veulent préserver les écosystèmes et ceux qui pensent que la technologie aura toujours réponse à tout. Cela permettra le développement d’une économie sans croissance pour protéger notre environnement.
Milton Friedman, l’archétype du néolibéral, était favorable au revenu de base. Les forces du marché sont le pilier du néolibéralisme, mais au lieu du système actuel où les forts exploitent les faibles, la conviction remplacera l’injonction à travailler. L’employé potentiel aura un rapport de force équilibré avec son patron. Les expériences en Inde et en Namibie démontrent qu’au lieu de favoriser l’oisiveté, un revenu de base encourage l’entreprenariat. Mais il permettrait aussi de prendre en compte les contraintes écologiques, ce que ne fait pas le capitalisme de compétition.
Si vous souhaitez en savoir plus, mon livre Revenu Citoyen et Économie Verte est publié par l’Institut d’Économie Verte. Mon blog, plus récent mais plus disparate, traite de la Tragédie des Communs, de démographie, de la crise grecque, de migration et de gaz de schiste.
Nous pouvons encore sauver « Paris » (et la planète) et nourrir tout le monde. Même les capitalistes y trouveraient leur intérêt.
Clive Lord est membre fondateur du Parti Vert Britannique, contributeur majeur au premier « Manifeste pour une société soutenable » du parti et militant du revenu de base.
Article initialement publié sur BasicIncome.org.
Adaptation française : Noémie Desard et Maxime Vendé.