On exagère trop souvent et très largement le coût d’un revenu de base universel (RBU) : ce n’est pas le montant du RBU multiplié par le nombre d’habitant·e·s.
« Budget brut » et budget net
On pourrait appeler ça le « budget brut » d’un RBU, mais c’est une surestimation franche de son coût réel. En réalité, ce n’est même pas un vrai coût, car pour la majorité de la population un RBU ne constitue en fait qu’une réduction d’impôt : l’État prélève d’une main des impôts et redistribue de l’autre un RBU. Il ne coûte rien à l’État de vous donner un dollar et de vous le reprendre dans le même temps.
Pour calculer le coût réel de redistribution d’un RBU, il faut évacuer l’aspect de don-contre-impôt pour se concentrer sur la hausse nette d’impôts de celles et ceux qui contribuent (ou bien les coûts nets économisés ailleurs) qui vont permettre de financer l’augmentation nette de revenu pour les plus fragiles.
Cette histoire de budget net d’un revenu de base universel doit être prise très au sérieux car elle est spécifique au RBU, cruciale, et parfois difficile à comprendre. Cette question se pose car le RBU est à la fois universel et monétaire. Puisqu’il est universel, tout le monde le reçoit, y compris celles et ceux qui payent l’impôt sur le revenu. Puisqu’il est versé en monnaie, les gens reçoivent la même chose que ce qu’ils versent. Puisqu’il est universel et monétaire, les gens reçoivent la même chose au même moment qu’ils contribuent.
Les transferts usuels : monnaie contre service
La plupart des transferts existants vont à des personnes qui ne participent pas en même temps au mécanisme de financement. Par exemple, presque personne ne cotise à l’assurance chômage en même temps qu’il ou elle en bénéficie. De même pour le crédit d’impôt, le prêt sur l’honneur, l’assurance handicap, Medicaid, etc. L’immense majorité de la population cotise à l’assurance santé à un moment et en bénéficie à un autre moment. Le transfert net, crucial dans le cas d’un RBU, est négligeable ou nul dans les mécanismes précités.
Environ la moitié des transferts sociaux aux États-Unis relèvent de l’assurance santé, et dans ce cas la population finance le dispositif en même temps qu’elle en bénéficie. Mais on contribue sous forme monétaire, alors qu’on reçoit sous une forme bien différente : la santé. Il est d’ailleurs intéressant de connaître le coût de conversion de cet argent en soins. Le budget global de la santé est ainsi important, bien qu’on puisse également s’intéresser à ses effets secondaires de redistribution pour calculer son coût réel.
Le seul budget qui compte est net
Le revenu de base est fondamentalement différent de tous ces dispositifs car pour la majorité de la population, il fonctionne comme un crédit d’impôt. Vous payez vos impôts sous forme monétaire et recevez simultanément de l’argent. Imaginez que vous achetiez quelque chose 100 dollars, et que vous receviez immédiatement un remboursement de 50 $. Vous n’avez pas besoin de compter 50 $ dans votre budget pour cet achat. Vous n’avez qu’a prévoir une dépense de 50 $. Ces 50 $ sont le seul coût réel de la mesure.
Si l’on veut connaître l’empreinte budgétaire d’un RBU, il faut mettre de côté l’énorme part de l’enveloppe qui est directement remboursée. Contrairement à l’assurance santé, le budget global n’a pas d’effet sur le bilan comptable. Il y a une limite physique à ce que vous pouvez proposer comme protection santé, même si vous avez en face des entrées budgétaires pour financer. Il y a en effet une limite au volume d’achat possible. Mais Il n’y a aucune limite à la quantité d’argent que l’État peut vous donner, s’il vous le reprend dans la foulée. L’État pourrait très bien donner 10 milliards de dollars à chacun·e sans effet sur l’inflation, à condition que les impôts augmentent simultanément de 10 milliards.
Il est crucial de ne plus se préoccuper de l’enveloppe globale du revenu de base et de se focaliser sur le seul budget qui importe : son coût net.
Une erreur grossière et répandue
Voici quelques-uns des innombrables exemples où l’on confond l’enveloppe globale d’un RBU avec son coût de mise en œuvre :
- L’OCDE : « Basic Income as a policy option: Can it add up? », The Organization for Economic Cooperation and Developed, publié au printemps 2017 par la respectable organisation.
- Marisa Kendall : « Tech giants Elon Musk, Sam Altman push universal basic income concept » Santa Cruz Sentinel, 20 mai 2017.
- Eduardo Porter : « A Universal Basic Income Is a Poor Tool to Fight Poverty.” The New York Times, 31 mai 2016. L’an dernier, dans le plus célèbre des journaux étasuniens.
- L. Harvey Philip, « The Relative Cost of a Universal Basic Income and a Negative Income Tax » Basic Income Studies, 2006 : publié dans une revue scientifique.
- Barbara R. Bergmann, « A Swedish-Style Welfare State or Basic Income: Which Should Have Priority? » Politics and Society, 2004 : publié dans une revue scientifique et a eu un écho important dans le milieu universitaire.
- Derek Anderson, « The Real Cost of Universal Basic Income » Medium, 28 décembre 2016. Celui-ci est particulièrement pernicieux car il s’intéresse au « coût » de la conversion de mécanismes sociaux existants, bénéficiant actuellement aux plus fragiles, vers un dispositif universel, dont le plus gros n’irait pas aux plus pauvres. Ce qui revient à remplacer des dispositifs ciblés de protection sociale par un RBU très faible et une réduction d’impôt pour les plus riches, comme s’il n’existait pas d’autres moyens de construire un revenu de base universel.
Une simple requête sur un moteur de recherche retournera une avalanche d’articles faisant la même erreur.
J’ai récemment fait des estimations simples du coût réel d’un RBU dans un article intitulé « The Cost of Basic Income: Back-of-the-Envelope Calculations ». Il est en attente de parution dans une revue académique et disponible dans sa forme actuelle sur mon site web.
J’y avance qu’un RBU d’un montant suffisant pour éradiquer la pauvreté aux États-Unis représenterait 539 milliards de dollars par an. Soit moins de 16 % de son coût global, souvent évoqué mais sans grand intérêt (ici 3 415 milliards). Soit moins de 25 % des dépenses actuelles en programme sociaux. Soit moins de 15 % des dépenses globales de l’État, ou encore 2,95 % du PIB des États-Unis.
Traduction d’un article de Karl Widerquist initialement publié sur Basic Income News.
License : CC BY-NC-SA 3.0.
Illustration : CC 0 1.0 Helloquence.
Commentaires
Une réponse à “L’erreur grossière du budget d’un revenu de base”
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